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Voir-ou-revoir

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Mes visites d'expositions, de musées et autres lieux culturels.


Les Demoiselles des bords de la Seine - aout 2015

Publié par voir-ou-revoir sur 31 Août 2015, 17:15pm

Catégories : #Peintres

En ce matin du mois d'aout, le Grand Palais est fermé, les abords du Petit Palais sont déserts. Les autocars déversent les touristes à Notre Dame, à la Tour Effel ,au Musée du Louvre…

Il fait beau, les magnifiques portes dorées du Petit Palais scintillent et s'ouvrent généreusement pour moi. Nous ne sommes que quelques visiteurs à arpenter les salles que je connais bien mais où j'aime revenir car le calme de ce musée permet de s'attarder longuement, et sans être dérangé devant un tableau.

Dans la salle des "Réalistes", je retrouve "Les Demoiselles des bords de la Seine". Support de nombreuses interprétations, elles ont fait le bonheur, comme la plupart des toiles de Courbet, des décrypteurs de significations. Courbet nous oblige à nous raconter une histoire, chacun se racontera celle qu'il lui plait de se raconter, le rêve est le domaine du regardant.

Photos MP

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Je suis fascinée, quant à moi, par la femme brune, par son visage sculptural et par le bouillonnement des jupons, tissus et dentelles. Elle ne semble pas reposer fermement sur le sol. Son regard chargé de sensualité et tourné vers le spectateur est-il destiné au peintre ? (on peut supposer que le chapeau qui se trouve dans la barque lui appartient) Qui est cette femme ? Une prostituée ? Peut-être Virginie Binet, maitresse et modèle de Courbet dont il aura un fils. (Ce patronyme Binet - celui de ma famille - ajoute un degré à ma fascination et intensifie ma rêverie).

Ce que l'on peut dire c'est que le tableau ne laisse pas percevoir aujourd'hui ce que l'on pouvait y trouver en 1856. Si pour nous il peut être émouvant, le XIXe siècle, éminemment bourgeois, ne pouvait qu'être choqué par la représentation d'une telle sensualité.

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Mais comment pourrais-je ne pas avoir, alors, en mémoire la représentation qu'en fait Picasso ? Comment pourrais-je oublier mon face à face avec "Ses Demoiselles des bords de la Seine" au Kuntmuseum de Bâle il y a bien longtemps ?

Picasso regarde les Demoiselles de Courbet. De quelle ordre est sa rencontre : rapport aux femmes ? pouvoir pictural ? "Pour Picasso la peinture et les femmes ne sont qu'un" (J.Chiari - Picasso). Affirmation d'un nouveau vocabulaire pictural, le tableau de Picasso nous parle-t-il des femmes du XXe siècle ? Il est difficile de définir ses Demoiselles comme représentatives de la sensualité ou des femmes.

Ces femmes sont femmes parce que Picasso le dit. Nous pourrions aussi bien y voir des hommes, ou un homme surtout dans la femme accoudée (Picasso lui-même).

Photo Web

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Photo Picasso par Brassaï - 1932 et photos MP - cliquez pour agrandirPhoto Picasso par Brassaï - 1932 et photos MP - cliquez pour agrandirPhoto Picasso par Brassaï - 1932 et photos MP - cliquez pour agrandir

Photo Picasso par Brassaï - 1932 et photos MP - cliquez pour agrandir

Courbet, homme actif, engagé dans son époque autant que l'était Picasso dans la sienne, nous donne à voir un tableau auquel nous devons participer, le rêve est à notre portée à condition que nos pensées agissent.

Par contre nous subissons la violence de l'interprétation de Picasso "Un bon tableau, un tableau quoi il devrait être hérissé de lames de rasoir"(Malraux citation de Picasso)

L'espace temps qui sépare les Demoiselles des Bords de la Seine de Courbet de celles de Picasso marque la rupture entre deux mondes : celui du milieu du XIXe qui repose entièrement sur la nature et se confond avec la réalité et celui du début du XXe tourné vers l'avenir, où l'évolution est solidaire de la machine, de l'énergie, de la vitesse.

Avec le cubisme et Picasso, l'expression de l'individu et l'imitation de la nature ne jouent plus un rôle primordial : l'art à une vie propre. Picasso ne raconte plus une histoire, il organise la surface du tableau.

Picasso ne laisse subsister du naturalisme du tableau de Courbet que quelques taches vertes. Les femmes occupent approximativement le même espace que dans le tableau de Courbet, mais les dimensions sont restreintes en hauteur (105cm pour 174), alors que la longueur est presque la même. Cela prouve la détermination de Picasso de supprimer ce qui ne l'intéresse pas : la nature, les arbres. Profondeur et perspective abolies, les deux femmes se retrouvent mêlées, basculées en avant pour venir se plaquer à la verticalité du tableau.

Malgré les bouleversements que Picasso pratique dans le forme, il transparait dans différents points et détails du tableau une grande fidélité à Courbet. Une ressemblance avec l'original subsiste, mais sans trace de naturalisme photographique.

Malgré l'émotion que j'éprouve pour certains détails du tableau de Courbet, je dois avouer que ma préférence va à l'interprétation de Picasso.

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Gustave COURBET (1819-1877) - Les Demoiselles des bords de la Seine - 1856

Huile sur toile - 174x206 cm - Paris - Musée du Petit Palais

Pablo PICASSO (1881-1973) - Les Demoiselles des bords de la Seine - 1950

Huile sur toile - 105x201cm - Bâle - Kunstmuseum

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A
Ce grand tableau accroché au Petit Palais s’est-il qu’il déclencha un scandale auprès de la critique au Salon de 1857 : Les jeunes femmes nous apparaissent alanguies au bord de l’eau dans la chaleur d’un été parisien incitant au canotage… Une homosexualité apparente les uniraient-elles ? Viennent-elles s’offrir à une clientèle masculine ?<br /> Courbet se serait-il inspiré du poème de Baudelaire « Femmes damnées » dans les « Fleurs du mal » : <br /> « Comme un bétail pensif sur le sable couchées,<br /> Elles tournent leurs yeux vers l’horizon des mers, <br /> Et leurs pieds se cherchant et leurs mains rapprochées<br /> Ont de douces langueurs et des frissons amers."
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N
Copier pour créer, tout un art. Merci pour ce sujet intéressant traité avec beaucoup d'élégance. Nous allons ce matin à la Fondation Louis Vuitton. Plein de gros bisous
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C
Waouh ! je reste béate d'admiration devant ton analyse. Je connaissais les deux tableaux mais n'avais jamais approfondi le parallèle entre les deux. Super Intéressant comme toujours et ton style d'écriture est un régal, je suis comme Rufus, je voudrais que tu racontes encore et encore !<br /> Gros Bisous
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V
Il n'y aurait pas "d'interprétation" de Picasso sans le tableau de Courbet; les deux existent et gardons nous de choisir.
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V
Merci de votre commentaire très judicieux, les tableaux sont effectivement complémentaires, l'un ne va pas sans l'autre. C'est ce qu'on appelle l'art dans l'art. Nous pouvons avoir une grande admiration pour les deux œuvres avec toutefois la liberté d'exprimer une préférence. Comme l'a dit fort justement Rufus dans son commentaire, la toile de Courbet a malheureusement vieilli et noirci ce qui lui fait perdre un peu de sa force. Choisir aurait été ne montrer que l'œuvre de Picasso, confronter les deux et être plus sensible à l'une qu'à l'autre n'est pas une sélection. Bien amicalement.
R
Très belle analyse, chère Michèle, je pense que vous nous avez mesuré la leçon, que vous auriez pu aller plus loin. Comme toujours votre illustration est fort judicieuse ( une remarque : le visiteur du Petit Palais que je suis, admire ici votre travail de remise en état de la toile de Courbet, tristounette en vérité au musée).Un grand merci, donc,ici, à notre représentante favorite de la grande race "Binet"
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