Après ma visite de l'exposition d'Orsay "Gustave Doré, l'imaginaire au pouvoir" les lectures et recherches m'ont passionnées encore plus que de coutume. Si j'ai beaucoup aimé la présentation des talents moins connus de l'illustrateur, peintures, aquarelles, sculptures, je reste tout de même plus attachée aux illustrations gravées des oeuvres littéraires.
Gustave Doré pratique très jeune la lithographie et beaucoup plus tard l'eau forte, mais il n'a jamais gravé ses illustrations. Cela n'enlève rien à son immense talent de dessinateur, à sa créativité, à son imagination débordante et à son sens du spectaculaire. Il s'intéresse dès ses débuts au travail des graveurs avec lesquels il collabore.
La gravure sur bois, qui s'exécute en relief, marche de pair avec le caractère typographique. Si ses premières illustrations sont faites en "fac-similé" (le graveur dégage à l'aide d'un burin les traits posés par le dessinateur), Gustave Doré se tourne très vite vers la "gravure de teinte", introduite par Héliodore Pisan, qui rend les nuances et les demi-teintes d'un lavis. Doré dessine directement sur le bloc de "bois de bout" au lavis ou à la gouache, il appartient ensuite au graveur de rendre les différentes nuances d'un dessin qui disparaît sous les tailles du burin.
Pour exécuter une "gravure de teinte", à partir d'un dessin au lavis où le sens des tailles n'est pas indiqué, il faut que le graveur puisse en faire une interprétation complète : tout est laissé à son initiative. Inutile de préciser qu'il doit être talentueux. Gustave Doré aura recours à de nombreux graveurs virtuoses : François Pannemaker et Héliodore Pisan, et d'autres moins connus, Eugène Sotain, François Pierdon, Auguste Trichon, Louis Dumont, Eugène Prud-homme, Jean Best, C.Laplante, Chapon, Plaud...Cette technique de "gravure de teinte" fera d'ailleurs l'objet de controverses, la "critique" lui reprochera de vouloir imiter la lithographie ou l'eau forte et de perdre le sens premier de la gravure sur bois.
Mais revenons en Alsace, à Strasbourg, où naît le 6 janvier 1832 un petit Gustave, fils de Christophe Doré, Ingénieur des Ponts et Chaussées, et d'Alexandrine Pluchart. Le couple a déjà un fils Ernest né en 1829. Un troisième enfant Emile naît en 1834. Le rêve du père, polytechnicien, est que ses fils embrassent comme lui la fonction publique. Cela ne se réalisera pas pour Gustave (ni pour Emile qui sera musicien). Gustave couvre ses cahiers d'écolier de dessins alors qu'il n'a que quatre ans, sa pire punition est la confiscation de ses crayons. Il apprend aussi très jeune le violon, toute sa vie il en jouera en société.
En 1840 la famille s'installe à Bourg en Bresse où le père est muté. Gustave fréquente le collège puis l'école primaire supérieure. Il croque la société locale, emplit les marges de ses livres et de ses cahiers de dessins. En 1845, un artisan imprimeur local, Ceyzeiriat, publie un de ses dessins : "La vogue de Brou" où musiciens et danseurs sont représentés avec des têtes d'animaux.
En 1847 Gustave se rend à Paris avec ses parents. Il rencontre Charles Philippon, Directeur du journal Le Charivari, qui reconnaît immédiatement son talent. Gustave s'installe rue Saint Paul, chez une parente de sa mère, Mme Herouville, et suit des cours au Lycée Charlemagne. Philippon publie "Les travaux d'Hercule" que Gustave a composé, dessiné et lithographié, il n'a que quinze ans.
Pour lire l'intégralité des Travaux d'Hercule cliquez : link
En Avril 1848 Christophe Doré signe au nom de son fils un contrat d'exclusivité de trois ans avec Philipon pour la publication de caricatures dans le Journal pour rire qui vient d'être lancé.
Sa mère ayant hérité d'un hôtel particulier rue Saint Dominique à Paris (aujourd'hui au n°7), la famille s'y installe après la mort du père en 1849. Gustave occupera toute sa vie une petite chambre contiguë à celle de sa mère.
Avec l'illustration de Rabelais en 1851 puis de l'Enfer de Dante, Gustave Doré devient célèbre. A dix neuf ans, le jeune homme a l'ambition de mettre en image tous les chefs-d'oeuvre de la littérature. Il dira plus tard "Je conçus, à cette époque le plan de ces grandes éditions in-folio dont le Dante a été le premier volume publié. Ma pensée était, et est toujours celle-ci : faire dans un format uniforme et devant faire collection, tous les chefs-d'oeuvre de la littérature soit épique, soit comique, soit tragique".
Sa carrière de peintre commence dès 1849. Il peint d'abord des paysages puis se rêve peintre d'histoire. Ses peintures ne remportent pas un grand succès au Salon.
Il développe son image de dandy inspiré et extravagant, il reçoit le tout Paris, fréquente les stars de l'époque, apparaît dans les réceptions de Napoléon III. Au coeur de la vie parisienne mondaine et musicale il est proche de Liszt, de Rossini, de Wagner et de Saint-Saëns. C'est un homme généreux qui subventionne un orphelinat à Courbevoie et distribue des fortunes dans les bas-fonds de Londres.
Portée par la publication de la Bible illustrée en 1861, sa notoriété passe les frontières françaises, l'impression est faite en Angleterre, en Espagne, en Hollande, en Amérique, en Russie ...
Dans les années 1870 ses peintures religieuses lui valent un grand succès à Londres. Deux galeristes londoniens ouvre une "Doré Gallery". Sculpteur durant ces mêmes années il traite les grands sujets romantiques (Le monument à Alexandre Dumas, place du général Catroux à Paris 17è, sera sa dernière oeuvre, achevée après sa mort).
En 1871, très marqué par l'annexion à l'Allemagne de son Alsace natale mais aussi par la violence de la Commune de Paris, il peint "l'Enigme" : une grande grisaille où sur un immense champ de bataille, la France aux ailes brisées, à l'attitude désespérée, interroge un sphinx.
huile sur toile 139x195,5cm - 1871 - Musée d'Orsay
En 1875 il expérimente la technique de l'aquarelle mais la vente publique à l'Hôtel Drouot est un échec commercial. Il n'obtiendra jamais la gloire en France. Quoi qu'il fasse, sa volonté de devenir un grand peintre se heurtera aux critiques violentes. Les frères Goncourt iront jusqu'à écrire à propos de deux toiles (Une soirée dans la campagne à Grenade et Souvenir de Savoie paysage) : "le papier peint vaut mieux". Cette remarque était on ne peut plus odieuse. Gustave Doré était un artiste très populaire et l'est encore, c'est peut-être cela qui, de tout temps, agace les "critiques". Cette semaine encore dans Télérama : ".../sauf que Doré s'obstine à peinturlurer ses meilleures planches en immenses formats..../passons donc sur le peintre : y compris sur les paysages, trop nombreux dans l'exposition du musée d'Orsay".
Je ne suis aucunement "critique" et j'affirme, sans honte aucune, que les peintures religieuses monumentales de Gustave Doré m'impressionnent, que ses peintures poétiques et ses paysages me font rêver, que ses aquarelles me touchent autant que celles d'Hugo, et j'ai une admiration sans bornes pour l'illustrateur de plus de cent chefs-d'oeuvre de la littérature, Balzac, Rabelais, Dante, Cervantes, Hugo, La Fontaine, Perrault...qui a exécuté plus de dix milles dessins sur bois, mon admiration allant aussi aux graveurs qui ont interprété ses oeuvres.
Gustave Doré meurt d'une crise cardiaque le 23 janvier 1883. Il a 51 ans. Cent ans plus tard la rétrospective de Strasbourg lui reconnait enfin sa qualité de peintre. L'exposition de 2012, à Bourg en Bresse, là où avait été publié son premier dessin, montre ce que lui doivent certains des plus grands cinéastes : Cécil B DeMille et ses Dix Commandements, Jean Cocteau et La Belle et la Bête, les bas-fonds londoniens dans Harry Potter ou le vaisseau des Pirates des Caraïbes.
Au Musée d'Orsay ce sont tous les talents de cet autodidacte génial, prolixe et infatigable que l'on peut admirer, c'est à nouveau un très bel hommage qui lui est rendu.
EXPOSITION JUSQU'AU 11 MAI 2014
PEINTURES
Lac en Ecosse après l'orage - 1875-78? huile sur toile 90x130cm
Collines d'Ecosse, 1875 - huile sur toile 180?6x183,2cm - Roledo Museum of art
Dante et Virgile dans le neuvième cercle de l'enfer - 1861 - huile sur toile - 315x450 - Bourg en Bresse - musée du monastère royal de Brou
Le Christ quittant le prétoire - 1874-80 - Huile sur toile - 482x722 - Nantes musée des Beaux-Arts
Bataille d'Inkermann - siège de Sébastopol guerre de Crimée - 1856 - huile sur toile 480x500cm - Château de Versailles
détail
Episode du Siège de Paris - 1870-71 - soeur de la Charité sauvant un enfant - huile sur toile - 97,8x130cm - détail - Le Havre - musée d'Art moderne
DESSINS ET AQUARELLES
L'ascension du Mont Cervin - vers 1865 - Plume et encre brune, lavis d'encre de Chine, lavis brun et rehauts de guache blanche - 79,5X59,5 - Musée d'Orsay
Le Christ au roseau - 1874 - Plume et Pierre noire, rehauts de blanc 58x44cm. Pontoise musée Tavet
Le fiacre au clair de lune - projet d'illustration pour" London,a Pilgrimage"- vers 1870 lavis brun, gouache blanche et grise 46,2x31cm - Strasbourg musée d'Art moderne
Pauvresse à Londres - 1869 - Lavis, plume, rehauts de gouache blanche, 46,3cmx30,6cm - Strasbourg musée d'Art moderne
Le Néophyte - 1869 - Plume et encre noire - 56,8x68cm - Strasbourg - musée d'Art moderne et contemporain
Le rassemblement des troupeaux dans le bois de Boulogne vers 1870 - gouache et lavis brun 64,5x97,5cm - Musée d'Orsay
Environs de Saint Malo - aquarelle
LA SCULPTURE
Madone 1880 - Bronze H 79cm - Collection particulière
Joyeuseté, dit aussi A saute-mouton - vers 1881 - Bronze H 36,5cm - Musée d'Orsay
Statue d'Alexandre Dumas - PARIS 17e
ILLUSTRATIONS GRAVEES
Roger monté sur son hippogriffe délivre Angélique - Roland furieux d'Arioste.
La légende du Juif errant de Pierre Dupont -
L'Enfer de Dante
Pantagruel de Rabelais
Le petit chaperon rouge - Charles Perrault
Le lapin et les grenouilles - La Fontaine
LA BIBLE - L'annonciation
La destruction de Leviathan
La vision de Zacharie
London - A Pilgrimage
Gustave Doré en 1857
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Gustave Doré - Musée d'Orsay - Fév. 2014
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