La rétrospective actuelle de l'oeuvre de Bernard Buffet au musée d'Art Moderne de la Ville de Paris est un événement inattendu : elle est l'occasion pour beaucoup d'entre nous de découvrir ou redécouvrir l'oeuvre de l'un des artistes les plus célèbres du XXe siècle.
L'ascension de Bernard Buffet fût fulgurante. Au milieu des années cinquante, il est considéré comme étant l'égal de Picasso (ce dernier doit sans doute fort peu apprécier cette estimation), un référendum organisé par le magazine "Connaissance des Arts", l'élit meilleur peintre de l'après-guerre.
1958. Première grande rétrospective à la galerie Charpentier et année charnière pour lui : il a trente ans, il est riche, il roule en Rolls, son succès commercial est énorme (il est le premier peintre à diffuser certaines de ses oeuvres sous forme de produits dérivés).
1959. André Malraux devenu Ministre chargé des Affaires Culturelles, inaugure la première Biennale de Paris qui "sacre" l'abstraction de Pierre Soulages ou de Georges Mathieu au détriment de la figuration. Pour Bernard Buffet, ce sera bientôt la chute brutale, il sera l'objet, selon Otto Hahn, d'un "terrorisme moral". On lui reproche, outre son succès commercial, son côté "people" artiste figure de la haute société. Pour les institutions et les critiques, dans le courant intellectuel du moment, il n'est plus acceptable. Bernard Buffet n'est pas du côté des abstraits... et il ose même affirmer qu'il est contre !
Depuis 1952, il présente chaque année, le premier jeudi de février, une exposition personnelle thématique, à la Galerie Garnier à Paris.Il est populaire. Le public lui reste fidèle. Dès le premier regard, son oeuvre est intelligible alors que l'abstraction impose une réflexion souvent aléatoire. Les collectionneurs continuent d'acheter ses oeuvres : Maurice Garnier, Roger Dutilleul, le Docteur Maurice Girardin, le japonais Kiichiro Okano qui fonde dans son pays, à Surugadaire, en 1973, le Musée Bernard Buffet riche de 2000 oeuvres ((peintures, aquarelles, dessins, affiches, livres).
J’ai découvert, en visitant cette rétrospective, un grand peintre dont je ne connaissais que quelques tableaux, notamment son « clown » (qui ne le connait pas ?), des portraits de sa femme Annabel et des vues de Paris. J’aime ses compositions rigoureuses, le dépouillement de ses premières œuvres aux teintes grises et ocre à la couche picturale fine, mais aussi plus tard l’éclatement de la couleur en pâte lourde dans les séries sur Le Cirque, Les Oiseaux, La Corrida, Sumi et Kabuki. Comment ne pas être impressionné par ses trois grands tableaux sur La Guerre, où l’on retrouve l’art de Callot, de Goya et du Douanier Rousseau.
Dimanche 6 novembre, était diffusé sur Arte « Bernard Buffet, le grand dérangeur », un reportage passionnant et parfois émouvant qui a complété ma connaissance du peintre.
Les critiques ne sont toujours pas tendres, comme celle de Philippe Dagen, journaliste, dans le Monde du 18 octobre : « A partir des années 1970, ce système a fini par fatiguer la plupart de ses supporteurs. Quant aux autres, cela faisait déjà longtemps qu’ils ne le regardaient plus, et cette exposition ne les convaincra pas qu’ils auraient eu tort ». A chacun sa vision. En ce qui me concerne, je suis ressortie convaincue par cette exposition et admirative de ce peintre prolifique.
UNE VIE EN QUELQUES TABLEAUX
Bernard Buffet naît à Paris, le 10 juillet 1928 et grandit aux Batignolles. Dès 1942 il suit les cours de dessin de la Ville de Paris. En Janvier 1944 il entre avec dispense aux Beaux-Arts de Paris dans l'atelier d'Eugène Narbonne.
Buffet peint avec ardeur. C'est la guerre. Il utilise des morceaux de draps, de la toile à matelas. Les châssis sont fabriqués avec des chutes de bois rapportées de la miroiterie que dirige son père. La rareté des couleurs disponibles commande le ton gris ocre. Il peint ses proches, lui-même et tout ce qui l'entoure. Ses personnages longs et minces sont son propre reflet, celui d'un jeune homme qui a conservé sa silhouette maigre d'adolescent ayant vécu avec les restrictions de l'Occupation. Il a une mémoire visuelle exceptionnelle et compose directement le dessin sur sa toile au fusain, sans support de la nature ou de photos.
Deux hommes nus à table - 1947
Buffet à 20 ans, il remporte avec ce tableau le prix de la critique organisé par la Galerie Saint Placide. Il expose au Salon des Indépendants, et fait une première exposition personnelle.
Le buveur - 1948
Ce tableau est présenté en avril au prix de la jeune peinture créé par la Galerie Drouant-David. Au milieu du tableau on aperçoit le trait de raccordement de deux toiles assemblées.
Vacances en Vaucluse - 1950
Buffet rencontre Pierre Bergé dans un café de la rue de Seine. C'est le coup de foudre. Ils quittent Paris pour la Provence. Durant le Salon des Tuileries, le tableau exposé en vitrine à la Galerie Charpentier fait scandale et doit être retiré.
En 1951, les deux garçons sont hébergés par Giono à Manosque. Ils s'installent ensuite à Nanse jusqu'en 1955.
La Crucifixion - 1952
Cette oeuvre fait partie de la première exposition thématique à la Galerie Drouant-David.
Les Horreurs de la guerre - 1954
Buffet n'a que 26 ans lorsqu'il peint cette série. Le peintre aspire à marquer son époque tout comme l'a fait Picasso avec Guernica..
L'Ange de la guerre - Les Pendus - Les Fusillés
Le clown - 1955
Le tableau, diffusé dans le monde entier, fait partie de la série sur le cirque qui marque la notoriété de Buffet. La cote du peintre monte. Il est en tête de la jeune école contemporaine. Il achète une belle demeure seigneuriale à Château d'Arc.
La voix humaine - 1957
Le livre entièrement calligraphié et illustré de pointes sèches originales de Buffet est une commande de Cocteau d'après le texte de sa pièce de théâtre écrite en 1930 et montée la même année par Berthe Bovy à la Comédie Française. La première représentation privée est chahutée par les Surréalistes. Cette pièce met en scène un unique personnage, une femme au téléphone en un dialogue lacunaire et tronqué.
Voir la totalité de l'album ci-dessous
1958 - La Première grande rétrospective à la Galerie Charpentier est un énorme succès.
Après sa rupture avec Pierre Bergé, Buffet part à Saint Tropez et rencontre Annabel Schowb qu'il épouse en décembre. Ils auront trois enfants.
Maquette pour Toxique de Françoise Sagan - 1964
Entièrement illustrée par des dessins de Buffet - édité par Julliard
Court texte écrit par Françoise Sagan, sorte de journal d'un manque. Après son accident de voiture en 1957, elle reçoit pendant trois mois quotidiennement, un succédané de morphine appelé le "875" (palfium) qui la mène à faire une cure de désintoxication au cours de laquelle elle écrit cette confession
1956-1976
Buffet peint avec fureur. Il est sollicité pour des décors de ballets, des affiches de cinéma, des illustrations. Plus il est connu du grand public, plus sa réputation dans les milieux culturels baisse. En 1966 Connaissance des Arts le classe au 18e rang de l'index.
Au début des années 1970, il s'isole dans son atelier de Saint-Cast. Il n'assiste pas à l'inauguration du musée qui lui est consacré à Surugadaire au Japon. Il s'y rendra une première fois en 1980.
En 1984, il achète le Domaine de la Baume à Tourtour dans le Haut Var. Il y vivra jusqu'à sa mort (le domaine est devenu un hôtel de luxe)
Le Kabuki - 1987
Série inspirée par le Japon. Le Kabuki est une forme de théâtre traditionnel japonais, très prisée des citadins, qui a vu le jour à l'époque Edo, au début du XVIIe siècle.
Vingt mille lieues sous les mers - 1989
Avec ces tableaux inspirés par Jules Verne, Buffet continue son travail sériel de grand format. Viendront à la suite les séries sur l'Enfer de Dante et les Folles.
La harpiste - 1991
Nouvelle série sur le cirque
Les terroristes - 1997
Série très violente avec une pointe d'humour noir. Le peintre insiste surtout sur les armes des terroristes. Buffet qui s'estime victime d'un terrorisme culturel offre des cibles à la critique assassine.
La mort - 1999
Atteint de la maladie de Parkinson, Bernard Buffet prépare méthodiquement sa sortie. Il a des difficultés pour tenir ses pinceaux et ne supporte pas l'idée de ne plus peindre. Le 4 Octobre 1999, il se suicide par asphyxie avec un sac plastique sur lequel il inscrit son nom. Ses cendres ont été dispersées dans le jardin du musée de Surugadaire.
Cette série extraordinaire sera exposée en Février 2000.