(...) où donc as-tu trouvé ton soleil, ô Jordaens ? Ce pauvre soleil gris que le brouillard fait fondre (...)" Victor Hugo
Jacques Jordaens nait le 19 Mai 1593 à Anvers. Jacques est son véritable prénom (Jacus sur son acte de baptême). La transformation de Jacus en Jacob date du XIXe dans le contexte de la renaissance linguistique flamande. Son père pratique le commerce du drap mais la famille Jordaens compte des peintres et des encadreurs dès le XVe siècle. Elle est aussi apparentée à l'une des principales dynasties de peintres-marchands, experts en commerce de l'Art, les "Goetkint".
Jordaens reçoit une éducation caractéristique de la bourgeoisie de son époque. S'il ne possède pas la même culture que Rubens (qui a étudié au collège Jésuite le latin, la littérature classique et les humanistes), il pratique quelques langues modernes dont le français.
En 1607-1608 Jordaens entre en apprentissage chez Adam van Noort, dont il épousera la fille Catharina en 1616;
Cette même année 1616 il est reçu franc-maître de la guilde de Saint Luc comme peintre à la détrempe (peinture dont les pigments sont liés à une solution aqueuse - gouache ou aquarelle - mais la détrempe peut aussi être associée à la tempera, pigments liés avec de l'oeuf). Jordaens se destinait sans doute à la production de cartons de tapisserie. La guilde définissait le cadre réglementaire de l'exercice de la profession, regroupait notamment les peintres d'Anvers et constituait un important lien de sociabilité et de solidarité.
A cette époque Jordaens commence sa collaboration avec Rubens. Contrairement à Rubens, qui fit en particulier un long séjour en Italie (8 ans), Jordaens ne quittera jamais Anvers. Dans sa ville, spécialisée dans le commerce d'art il a toutefois la possibilité de voir des oeuvres et des copies gravées venant de toute l'Europe. D'autre part Rubens a ramené de son séjour en Italie un savoir colossal : il en fera sans doute profiter son jeune collaborateur.
En 1620 Jordaens ouvre son propre atelier. Il aura jusqu'en 1660 de nombreux élèves (un seul sera connu, Jan Boeckhorst qui fréquentera aussi l'atelier de Van Dyck). L'atelier est tout à la fois école, manufacture, lieu d'exposition et boutique. Les assistants travaillent sur tout ou partie du tableau et réalisent les variantes plus ou moins nombreuses des oeuvres à succès du maître.
Les dessins et esquisses sont essentiels pour Jordaens. Splendides et parfois très aboutis ils peuvent servir de modèles. Les collaborateurs puisent dans les dessins, tenus sous clef, d'enfants, de femmes, d'hommes, jeunes ou vieux, d'animaux, qui leur permettent de composer des tableaux.
Lorsque Rubens disparait en 1640, suivit de Van Dyck en 1641, Jordaens devient le plus grand peintre Anversois.
A la fin de sa vie c'est un homme riche et considéré. Il meurt en 1678 le même jour que sa fille Elisabeth, ils ont probablement été victimes d'une épidémie. Ils sont tous les deux inhumés dans le cimetière calviniste (ou dans l'église) de Putte, de l'autre côté de la frontière hollandaise.
Reconnu en France dès le début du XVIIIe (les collections royales acquièrent pour Louis XV "Le Christ chassant les marchands du temple"), la popularité de Jordaens a chuté à partir de 1950, il était moins connu que Rubens et considéré comme son successeur et sa peinture réaliste ne correspondait plus aux critères du XXe siècle.
La rétrospective que lui consacre le Petit Palais, la première en France, est une réussite, on ne peut qu'être ébloui par les grandes compositions religieuses, les banquets réjouissants, les portraits familiaux et les très beaux dessins, à la pierre noire, à la plume ou au lavis.
Et je rêve depuis ma visite d'aller à Anvers....
La famille Jordaens est unie et ses membres incarneront souvent les personnages des tableaux du maître, notamment sa fille Elisabeth qui est présente de sa petite enfance à sa maturité. Jordaens fera uniquement les portraits de ses proches, Van Dyck était le maître pour les commandes royales et la bourgeoisie s'adressait à des peintres spécialisés.
Autoportrait fin des années 1640 - huile sur toile 81,5x59cm - Munich
1621-1622 - huile sur toile 181x187cm - Madrid Prado
Portrait d'une jeune dame montrant son bijou (Elisabeth ?) vers 1637 huile sur toile 74,5x55,5cm
La Sainte famille vers 1620 huile sur bois 105,8x75,5cm - (L'enfant est Elisabeth et la Vierge Catharina)
- LA BIBLE ET LES SAINTS
Dans ce domaine l'activité de Jordaens est féconde. Elevé par ses parents dans le catholicisme il se convertira au calvinisme au milieu du siècle, mais cela ne l'empêchera pas de continuer à travailler pour l'église et une clientèle catholique. Dans son oeuvre se mêlent les apports de Rubens et du Caravage.
L'adoration des bergers - 1616-17- huile sur toile - 255x175cm - Musée de Grenoble
Le sacrifice d'Isaac - vers 1625-1630 huile sur toile 242x155cm
Adam et Eve - La chute de l'homme - vers 1640 - huile sur toile 184x221cm - Budapest -
d'après Rubens qui avait lui-même copié Titien
Adam et Eve - Rubens - 1628-1629 - huile sur toile 237x184 -- Le Prado -
Titien - Adam et Eve - vers 1550 - huile sur toile - 240x186cm - Le Prado -
Les quatre évangélistes - 1625-1630 - huile sur toile 134x118cm - Musée du Louvre
Ce tableau, objet de nombreuses interprétations iconographiques, fait maintenant consensus sur la représentation des quatre évangélistes mais leur identification reste problèmatique. Il y a quelqes années, l'historien allemant Christian Tümpel a désigné le jeune homme en blanc comme étant Jean, le personnage près de lui serait Matthieu, ils sont au premier plan près de la Bible. Derrière eux, Marc, dont le premier métier consistait à fabriquer des toiles de tentes s'appuie sur la tenture, et le personnage qui écrit serait Luc (Jordaens a pris pour modèle le calligraphe de la guilde de ...Saint Luc.. de Graef).
- LES DECORS PROFANES
Deux oeuvres marquent son apogée dans ce domaine : "Le temps fauchant la calomnie et le vice", et "la mort étranglant la jalousie" peint en collaboration avec Rubens pour la salle d'apparat de la "Maison des bois" résidence princière aux environs de la Haye. L'exposition présente une vidéo de ces oeuvres.
Le verseau
- QUOTIDIENS ET PROVERBES
Les proverbes constituaient l'un des rares lieux de rencontre entre le savoir des élites et le plus grand nombre. Leur représentation avait un arrière-plan moral : montrer, éduquer, divertir.
Le nom de Jordaens est inséparable des diverses version du "Roi boit", représentation de la fête de l'Epiphanie.
Le Roi boit - 1638-1640 - huile sur toile 156x210cm - Musée royale de Bruxelles -
Le cartouche sur le mur du fond indique "où la boisson est gratuite il fait bon vivre", et Jordaens en autoportrait au premier plan rend le repas trop arrosé !
1640-1645 - huile sur toile 154x208cm - Valenciennes Musée des Beaux Arts -
Jordaens se représente jouant de la cornemuse
Le satyre et le paysan - 188x168cm - huile sur toile - Musée Royal de Bruxelles
- HISTOIRES PROFANES ET MYTHOLOGIE
Dès le début de sa carrière Jordaens traite les thèmes mythologiques, mais son regard est différent de celui de Rubens, il vide le mythe de son tragique pour aller vers la satyre et célébrer aussi la Nature.
Allégorie de la fécondité de la terre - vers 1623-1625 - huile sur toile - 180x241cm - Bruxelles -
Le Banquet de Cléopâtre - 1653 - huile sur toile -156,4x149,3cm - Saint Petersbourg
Candaule faisant épier sa femme par Gygès - vers 1646 - huile sur toile -193x157cm - Stockholm
Le tyran Candaule, fier de la beauté de sa femme contraint un courtisan, Gygès, à l'épier au moment de son coucher. La Reine s'en aperçoit et se venge. Elle convoque Gygès et lui propose un marché : soit il assassine Candaule pour obtenir sa main et le trône de Lydie, soit il est exécuté. Gygès poignarde le roi et s'empare du trône.
- MODELES CARTONS DE TAPISSERIES ET TENTURES
Jordaens conçut des modèles dans des registres divers : littérature proverbiale, thèmes équestres, mythologie et histoire antique ou médiévale. Sa spécialisation de peintre à la détrempe l'avait préparé à oeuvrer dans cette voie. Cartonnier de premier ordre, Jordaens participe au rapprochement entre lissiers et peintres qui marquera l'évolution de la tapisserie au XVIIe.
Carton - Chasseur et sa meute - pierre noire, aquarelle et gouache - 35,5x50,2cm - Londres
La tapisserie - après 1639 - laine et soie - 365x610cm - Vienne
Coups de coeur pour toutes les études et dessins de Jordaens :
Photos Internet - Texte MP -
EXPOSITION DU 19 SEPTEMBRE au 19 JANVIER 2014 - Petit Palais Paris