La cime du rêve
En 2002 s'était tenue l'exposition "Victor Hugo,l'homme océan" à la Bibliothèque François Mitterrand. Dans l'introduction du magnifique catalogue, Marie-Laure Prévost précisait : "car seul l'océan est à la mesure de l'ampleur et du polymorphisme de l'oeuvre de Victor Hugo : poète, dramaturge, romancier, plasticien, homme politique".
De son oeuvre titanesque c'est sans nul doute sa créativité de plasticien qui est la moins connue. Victor Hugo a tenu des carnets de voyage dès 1821. Ses dessins accompagnaient lettres, manuscrits et notes. Son exil à Guernesey en 1850 a été le temps des multiples expérimentations graphiques : frottage, tache, grattage, pochoir, utilisation de matériaux très divers.
L'exposition "La cime du rêve" qui se tient à la maison Victor Hugo, place des Vosges à Paris, s'intéresse à la façon dont les surréalistes ont intégré Victor Hugo dans leur groupe, sans toutefois le reconnaître ouvertement comme l'un des leurs. Le "premier manifeste du surréalisme" fut publié en 1924 par André Breton (Victor Hugo était mort en 1885). Une phrase en expose la philosophie : "Je crois à la résolution future de ces deux états, en apparence contradictoires, que sont le rêve et la réalité, en une sorte de réalité absolue, de surréalité, si l'on peut dire ainsi".
Les similitudes entre les surréalistes et Victor Hugo tiennent à leurs affinités plastiques mais aussi littéraires : les surréalistes redécouvre le texte posthume "Le promontoire du songe". Ils peuvent y lire : "Dans le monde mystérieux de l'art, comme dans la lune où notre regard abordait tout à l'heure (Hugo a rendu visite en 1834 à Arago à l'Observatoire de Paris et a contemplé le relief lunaire à la lunette astronomique), il y a la cime du rêve. A cette cime du rêve est appuyée l'échelle de Jacob, Jacob couché au pied de l'échelle, c'est le poète dormeur qui a les yeux de l'âme ouverts. En haut, ce firmament, c'est l'idéal. Les formes blanches ou ténébreuses, ailées ou comme enlevées par une étoile qu'elles ont au front, qui gravissent l'échelle, ce sont les propres créations du poète qu'il voit dans la pénombre de son cerveau faisant leur ascension vers la lumière. Cette cime du rêve est un des sommets qui dominent l'horizon de l'art".
Les similitudes plastiques exposées sont assez étonnantes, mais c'est surtout la sensibilité et le monde du rêve qui les rapprochent :
- une tache faite par Victor Hugo sur un minuscule morceau de papier et la tache appelée "la Sainte Vierge" par Picabia
- le frottage (dentelle) de Victor Hugo et celui de Max Ernst
- le dessin "l'Aigle pour blason" de Victor Hugo et "l'Origine de la pendule" d'Ernst
- cette main de d'Hugo et celles de Man Ray
Sont présentées ainsi, cote à cote, des oeuvres de Max Ernst, André Masson, Yves Tanguy, Francis Picabia, René Magritte, Unica Zûm, Brassaï, Oscar Dominguez, Marcel Jean, Robert Desnos, Toyen, Wilfredo Lam, Georges Malkine, et cinquante dessins de Victor Hugo.
encre brune et lavis, pochoirs sur papier beige marouflé sur toile 45x58,5
L'ermitage - plume, encre brune et noire et lavis, crayon graphite, fusain,
grattages, utilisation d'un pochoir - 35,6x23cm
Plume, encre brune et encre de chine, frottis de fusain, gouaches blanche et bleue 17x18,4cm
plume, lavis d'encre brune, rehauts de gouache, pochoir sur papier beige 47X31cm
Plume, pinceau, encre brune et lavis, rehauts de gouache blanche 17,8x17,3cm
plume, pinceau, encre brune et lavis, réserves sur papier 19,2x 25,5cm
plume, pinceau, encre brune et lavis, gouache noire et blanche sur papier beige 13,2x10,4cm
La pieuvre - plume, pinceau, encre brune et lavis sur papier crème 35,7x25,9cm
"La nuit, pourtant, et particulièrement dans la saison du rut, elle est phosphorescente. Cette épouvante a ses amours. Elle attend l'hymen. Elle se fait belle, elle s'allume, elle s'illumine, et, du haut de quelque rocher, on peut l'apercevoir au-dessous de soi dans les profonds ténèbres épanouie en une irradiation blême, soleil spectre". Les travailleurs de la mer.
Je ne peux résister au plaisir de citer un autre passage du "Promontoire du songe" d'Hugo :
"La tarentule est une rencontre lugubre. Elle abonde sur le mont Reventon. Elle est là dans son repaire caché par les folles avoines. Elle a une tourelle sur sa forteresse comme un baron, une tenture de soie à son mur comme une courtisane et une lueur dans la prunelle comme un tigre. Elle a une porte qu'elle ferme avec un verrou. Le soir elle ouvre sa porte et attend, tapie au premier coude de sa caverne tubulaire. Malheur à qui passe ! Ceux qu'elle a piqués se cherchent, se trouvent, se prennent par la main et se mettent à danser la ronde qui ne s'arrête pas ; les pieds usées, on danse sur les tibias ; les tibias s'usent, on danse sur les genoux ; les genoux s'usent, on danse sur le torse devenu moignon ; le torse s'use, et les danseurs finissent par n'être plus que des têtes sautillant et se tenant par les mains avec des tronçons de côtes autour du cou imitant les pattes, et l'on dirait d'énormes tarentule ; de sorte que l'araignée les a faits araignées. Cette ronde de têtes use la terre, y creuse un cercle horrible et disparaît. Dans les Pyrénées, ces cercles s'appellent oules (olla, marmite). Il y a l'oule de Héas, Gavarnie est une oule".
Vianden à travers une toile d'araignée - plume, encres brune et violette, lavis, crayon de graphite, aquarelle, grattage.
Exposition jusqu'au 16 février 2014.